Gypaète barbu à l’est du Couserans : premier envol d’un juvénile… après 13 ans d’efforts !

ParCarole Herscovici

Gypaète barbu à l’est du Couserans : premier envol d’un juvénile… après 13 ans d’efforts !

L’ANA participe depuis 2000 aux actions techniques (prospection, suivi, nourrissage) du réseau casseur d’os en faveur de la restauration de la population de gypaètes barbus sur le versant nord des Pyrénées. Dans les années 90, l’association participait déjà au volet « Education à l’Environnement » en contribuant  avec les autres partenaires à la mise en place du premier kit pédagogique pour sensibiliser le grand public aux actions pour la conservation du gypaète. En ce qui concerne les actions techniques, nous intervenons aujourd’hui essentiellement dans le Couserans et depuis l’année dernière dans le massif de la Frau à l’est du département.

– Gypa – quoi ? Toi-même !2

Le gypaète barbu (Gypaetus barbatus barbatus) est un rapace nécrophage au régime alimentaire particulier, composé essentiellement d’os d’ongulés de taille moyenne (isard, chèvre, brebis…). Il est ainsi capable d’avaler des morceaux d’une vingtaine de centimètres. Cependant, lorsqu’ils sont trop gros, le gypaète les casse en les lâchant au-dessus de pierriers, ce qui lui vaut son autre nom de « casseur d’os », quebrantahuesos en espagnol.

Outre cette particularité alimentaire, le gypaète a un physique et une silhouette qu’on n’oublie pas, en partie gravés dans son nom provenant de gyps (vautour) et aetos (aigle) : un vautour-aigle, et barbu, par-dessus le marché :

  • Longueur du bec à la queue : 1,10 à 1,50 m
  • Envergure : 2,50 à 2,90 m
  • Poids : 5 à 7 kg
  • Tête blanche à jaunâtre avec deux bandeaux noirs du bec aux yeux dont l’iris jaune entourés d’un anneau sclérotique rouge sang ne laisse pas indifférent. Sans oublier la barbiche noire sous le bec (5 à 6 cm chez l’adulte, même les femelles…), en prolongement du bandeau noir.
  • Les ailes, la longue queue cunéiforme (ou en losange) et le dos sont noirs (de près, le rachis blanc des plumes contraste avec les vexilles noirs)
  • Le cou (plus ou moins orné d’un collier noir), le ventre et la poitrine varient du blanc au jaune orangé.

Ce dernier point peut laisser perplexe, il faut donc livrer une autre particularité de cet oiseau : il se maquille ! Le gypaète, s’il le peut, prend des bains de boue ferrugineuse qui colore son plumage en jaune orangé. Cette coloration intentionnelle de son plumage (et régulièrement entretenue) exprime le caractère dominant de l’oiseau qui la porte et tient donc un rôle dans la communication pour la défense du territoire par rapport à des congénères erratiques. Cependant, certaines régions dépourvues de fer connaissent des gypaètes blancs (Sierra de Guara, Corse).

Le gypaète est adulte à 7 ans et vit plus d’une trentaine d’année.

Malgré tout, la première reproduction réussie a lieu autour de 10 ans. Le cycle commence à partir de fin octobre – début décembre (mais parfois avant) par la construction ou la recharge d’une aire par le couple dans une falaise plus ou moins bien exposée et sur une corniche plus ou moins bien abritée. L’aire est un assemblage de branche dont la coupe est garnie de laine de brebis. Cette activité se poursuit en novembre et décembre, mois pendant lesquels les parades nuptiales et les accouplements vont crescendo. Finalement la ponte est déposée fin décembre-janvier (voire début février) et débute une période d’incubation de 53 jours et demi en moyenne qui se déroule au cœur de l’hiver et en altitude : on comprend mieux l’utilité du matelas de laine et l’importance du choix du site : exposition, protection (surplomb, grotte…). L’éclosion a lieu vers la fin de l’hiver (fin février-mars), commence alors une période de 4 mois : l’élevage du jeune, qui se termine par l’envol de celui-ci au début de l’été. Peu à peu, le juvénile apprend la maîtrise du vol puis du cassage d’os et s’émancipe progressivement laissant ses parents entamer un nouveau cycle de reproduction dans le courant de l’automne.

Un tel oiseau n’a pas laissé les anciens indifférents puisqu’il inspira la légende du phénix : son plumage couleur de feu mais surtout son aire s’illuminant la nuit comme un feu en pleine falaise … et l’oiseau en décollant le matin, comme renaissant de ses cendres. L’oxydation du phosphore des os en décomposition accumulés pendant des années dans certaines aires est accompagnée du phénomène de phosphorescence qui pourrait être à l’origine de ces légendes.

– Résumé des épisodes précédents :

Alors que depuis 2000, nous suivions le couple installé sur le massif du Mont Rouch (Le premier site de nidification est découvert en novembre 2001 et l’été 2002 verra l’envol d’un jeune… le seul jusqu’à aujourd’hui…), les observations récurrentes de gypaètes sur le territoire d’Aulus-Cagateille conduisent à la mise en place d’un nourrissage pour fixer un couple, dès l’automne 2002. Cette opération consiste au portage de 20 kg d’os d’ovins sur un site choisi pour sa tranquillité et sa facilité d’accès pour les oiseaux, de mi novembre à mi-mai au rythme d’un portage par semaine environ.

De 2002 à 2004, des subadultes sont observés sur le territoire, parfois par paire mais sans qu’on puisse encore parler de couple au vu des comportements observés.

De 2004 à 2006 , un couple est en cours de formation : des adultes sont observés sur le territoire, souvent par deux mais aucune observation de comportements liés à la reproduction : parades nuptiales, accouplements, transports de matériaux pour la construction du nid … n’est encore rapportée.

A l’automne 2006, un couple se cantonne (il s’approprie le territoire et le défend) et tente de se reproduire sur un premier site pendant 3 hivers de 2006 à 2009 : des parades, des accouplements, des transports de matériaux (laine, branches) et le chargement d’une aire sont observés sur une corniche non abritée exposée nord-ouest. Cependant, aucune tentative de nidification ne dépassera le stade de la ponte. Rien d’étonnant vu la qualité du site choisi et le climat local… (Ah, ces jeunes… !)

De 2009 à 2013, le couple se déplace et mène ses activités reproductrices (parades nuptiales, accouplements, transport de branches ou de laine) dans divers secteurs de son territoire sans qu’un site de reproduction puisse être localisé ni qu’un juvénile soit observé. Les vallées de ce territoire sont d’accès dangereux en hiver lorsque les gypaètes tentent de se reproduire, ce qui complique la recherche du site de nidification, tâche déjà bien ardue.

En 2013-2014, un nouveau site de reproduction est localisé : le couple installe son aire à l’entrée d’une cavité sur une falaise au fond d’une gorge dans un cirque encaissé, exposée E-NE. Mais la tentative échoue vraisemblablement au stade de l’incubation. Aucun suivi direct n’a été possible, les points d’observation direct étant inaccessibles l’hiver.

– 2014-2015 :

Plutôt qu’une synthèse un peu sèche, voici quelques extraits de carnets d’observations et d’échange de mails pour revivre le suivi du couple (et ses péripéties) lors de cette année exceptionnelle qui verra le premier envol d’un juvénile sur ce territoire.

24/10/2014 : La nouvelle aire est à 200 m de celle de l’an passé sur une corniche herbeuse à l’entrée d’une petite cavité sur une falaise entre 1650 et 1700 m d’altitude, exposée E-NE. Le couple est venu cet après-midi recharger en laine.

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11/11/2014 : le couple arrive à l’aire vers 16h25, l’un des deux porte une grosse touffe de laine bien blanche dans les serres. Il rejoint l’aire, se pose, installe sa laine farfouille dans l’aire et repart avec un bout de laine marron et effiloché qu’il va jeter plus loin : un petit coup de ménage, ça peut pas faire de mal ! Les oiseaux repartent ensemble en descendant la vallée…

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05/12/2014 : Voici le petit compte rendu très court du nourrissage : Météo : plafond bas, brouillard puis grésil, dépôt des os : 10h15, Observation : RAS (site non visible à cause du brouillard).

23/12/2014 : Le couple apporte encore de la laine à l’aire et parade au dessus (vols en parallèles, acrobaties…). Un adulte reste ensuite à l’aire (la femelle semble-t-il). La ponte approche, c’est une période très délicate, la plus grande discrétion est de mise (utilisation du point d’observation le plus éloigné possible).

09/01/2015 : Nourrissage. Soleil. Dépôt des os à 11h . Obs : 12h20-17h00 : Présence au nourrissage : Corneilles noires et Grands Corbeaux, 2 Renards, 1 Buse variable et au moins 1 Aigle royal adulte, le 2nd étant, simultanément, en train de festonner non loin de là. Pas de Gypaète au nourrissage mais un individu seul en vol à 4 reprises dans les alentours.

19/01/2015 : Dimanche, quelques heures d’obs pour confirmer ce que les observations des dernières semaines (un seul adulte depuis 3 semaines) laissaient présager : ça couve ! J’ai observé 2 fois la queue et le bout des ailes d’un adulte qui s’est levé quelques secondes à chaque fois, le reste du corps étant caché dans le renfoncement de falaise où est bâtie l’aire. Sinon, couché dans l’aire, on ne voit rien. J’ai également observé l’autre adulte au-dessus de la vallée avec un membre antérieur d’ongulé entier (de l’omoplate au sabot !).

02/02/2015 : Salut Julien, nous avons fait le nourrissage ce jour mais alors quelle galère ! Nous avons mis 3h15 pour monter dans une neige humide et dans laquelle on s’enfonçait entre 50cm et 90cm, une véritable tranchée, plus les noisetiers couchés ou cassés et plein de neige ! Tu vois le tableau. Préviens ceux qui montent la semaine prochaine. Pour l’obs : rien, pas un corvidé, pas un aigle et bien sûr pas un gypa ; Calme plat et départ à 17h15 . A plus Jean Claude.

12/02/2015 : Résultat du suivi entre 11h et 16h

12h15 : un gypa adulte nous passe au-dessus en descendant la vallée

13h15 : le couveur se lève quelques secondes, position face à la falaise, le tas de branches faisant office de palissade contre la base de la falaise est invisible, totalement enseveli sous la neige, de sorte que le couveur semble sortir d’un monticule de neige.

13h30 : le couveur se lève à nouveau et reste un moment la tête dans l’aire, il se lève et se recouche plusieurs fois puis il reste en position “visible” sur ce qui semble être un bord de l’aire jusqu’à 14h10 où il se déplace à nouveau avant de se recoucher totalement dans l’aire, invisible.

15h08 : relève rapide, le nouveau couveur ne se relèvera pas jusqu’à 16h. L’oiseau relevé descend la vallée et nous passe au-dessus.* La reproduction est toujours en cours, probablement toujours en incubation, même si le comportement du couveur pendant 40 minutes interpelle quelque peu. Une éclosion en cours renverrait à une ponte entre le 20 et le 25 décembre. Le couple est vu le 23 décembre en vol pour la dernière fois avec un adulte restant à côté du nid en fin d’après-midi. A suivre…

09/03/2015 : Voilà un rapide compte-rendu de cette riche et belle journée :

– Dépôt des os entre 10h45 et 11h, observations de 11h50 à 17h15.

– 11h50: femelle aigle royal et corvidés (4 corneilles noires (cn) et 2 grands corbeaux (gc)  déjà sur le nourrissage, rejoint par l’aigle mâle vers 12h15

– 12h45 : le couple d’aigles s’en va, un vautour fauve (vf) dans le ciel, un jeune aigle de 3 ans en approche et 12 corvidés au sol (4 gc et 8 cn). Le vf se pose, le jeune aigle se rapproche peu à peu;

– 13h : le renard arrive et s’empare d’os qu’il enterre à quelques mètres du site ou qu’il transporte sous le frêne ou dans les bois (peu).

– 13h10 : le jeune aigle de 3 ans se pose sur le frêne et suit les moindres faits et gestes du renard, au bout de quelques minutes, alors que le renard vient de franchir la crête, il se laisse glisser ailes à demi fermées vers lui (Couic, le renard… ?!)…3 Vf sur le site, des corvidés et le couple d’aigles qui surgit et fait le ménage, quadrillant la zone quelques minutes. Les corvidés reviennent et le renard aussi finalement…

– 13h35 : un gypa ad survole le nourrissage de plus en plus bas, effectue de nombreux passages en rase-motte. Les vf arrivent les uns après les autres, 7 sur le site quand le gypa se pose enfin… sous le frêne où il avale au moins 2 os que le renard avait entreposé là !  Puis il repart et atterrit à côté des vf qui continuent d’arriver, jusqu’à 15 ensemble posés. Le gypa (mâle vu la taille à côté des vf) se saisit d’un os et s’envole avec. Il passe dans la vallée et pompe. Pendant ce temps le renard tourne autour mais assez loin quand même des vf, semblant chercher une faille dans la mêlée.

– 13h55 : le gypa disparaît, en direction de l’aire avec son os.

– 14h02 : un gypa ad au-dessus du nourrissage, atterrit directement au milieu des vf de manière assez autoritaire (la femelle, nettement plus grosse) et se nourrit de 3 os. Puis elle se déplace au milieu des vf et finit par saisir un os, enfin, elle s’envole avec. Elle passe dans la vallée, pompe et tire vers l’aire avec son os (14h15).

Les gypa ad ne reviendront pas. Cependant beaucoup d’animations sur le site avec un jeune gypa de 2 ans qui viendra se nourrir à 2 reprises et le retour du jeune aigle de 3 ans qui tentera à nouveau sa chance 2 fois coup sur coup avec le renard mais sans succès, 2 milans royaux qui enchaînent les piqués et les acrobaties au-dessus de la mêlée…

Par ailleurs, vu le comportement des gypas sur le site, j’ai été vérifier les activités à l’aire depuis un autre point d’obs (obs de 15h15 à 16h45) : à 16h30, un ad se lève sur l’aire, on ne voit que le poitrail et la tête dépasser de la falaise. Il se tourne, on ne voit que la queue se lever et se baisser par intermittence pendant 5 minutes, il se redresse, recule un peu, avance et recommence le même manège. A 16h41, il se couche, plus rien n’est visible. Au vu de toutes ces observations (transport de nourriture et comportements au nid évoquant un nourrissage), l’éclosion a eu lieu et l’élevage du jeune est en cours.

29/03/2015 : Suivi du couple (12h-16h), belles éclaircies, très doux.

Ad (probablement la femelle au vu de la corpulence) au nid, quelques mouvements, se lève, se recouche.

13h20 : ad se lève puis décolle, revient à 13h27, repart à 13h28 et revient à 13h33.

13h35 – 13h48 : nourrissage, au vu des attitudes et du comportement de l’ad. A l’issu du nourrissage, l’ad sort de l’aire et va manger de la neige sur la corniche puis il revient à l’aire et se couche.

14h09 : le deuxième ad arrive à l’aire, le couple disparaît presque entièrement dans le creux de la falaise.

14h11 : les 2 ad s’envolent

14h16 : retour d’un adulte (le mâle apparemment)

14h18: l’ad repart

14h33 : un ad revient à l’aire

14h35 : 2 grands corbeaux et un gypa immature (début de 3ième année) volent devant la falaise. A plusieurs reprises, un ou les deux grands corbeaux se posent sur la corniche à côté de l’aire, l’ad les chasse à chaque fois par des mouvements d’ailes (des vrais claques !) et de courtes charges en avant mais sans quitter l’aire. Dans le même temps, le gypa immature se pose au-dessus puis finalement à côté de l’aire (2 ou 3 m). L’ad semble l’ignorer et s’occupe des grands corbeaux qui finissent par disparaître vers 14h50. L’immature ne bouge pas, l’ad non plus.14h55 : brusquement, l’ad charge l’immature qui s’envole sans demander son reste, il ne sera pas revu.14h58 : l’ad s’installe à l’aire et se couche. Plus rien ne bougera. La reproduction est toujours en cours (le jeune doit avoir entre 1 mois et 1 mois et demi) mais ça n’a pas l’air de tout repos…! Les réserves de nourriture faites à l’aire doivent attirer quelques convoitises…

03/05/2015 : Obs de 13h30 à 17h30 :

– 13h30 : jeune seul à l’aire

– 14h : arrivée d’un adulte, nourrissage

– 14h15 : départ de l’adulte

– 14h30 : le jeune, bien visible, emplumé, bat des ailes, rémiges courtes, observe les alentours puis retourne au fond de l’aire

– 15h26 : un adulte arrive à l’aire et commence à préparer une pièce, jeune visible en attente, puis nourrissage

– 16h09 : départ de l’adulte,

Le jeune seul à l’aire est vu ensuite par intermittence, fin des obs à 17h30.

Le jeune grandit : les parents le laissent seul et on arrive à l’observer vu le volume qu’il a maintenant atteint. Il paraît avoir au moins 2 mois (ce qui correspond bien avec la supposition déjà évoquée d’une ponte fin décembre-début janvier). Envol à surveiller dès fin juin – début juillet.

06/06/2015 : depuis le point 1850 m, de 8h55 à 11h : le jeune gypa roupille peinard sur la corniche, tête sous l’aile jusqu’à l’arrivée du soleil vers 9h10. Il rejoint alors l’aire où il dépèce gaillardement un morceau d’isard dont il extrait une vertèbre puis un fémur qu’il avale tour à tour. Après une (très) rapide toilette, il cherche l’ombre : il s’enfonce dans la cavité du fond de l’aire mais comme la moitié à un tiers du corps reste dehors, il finit par descendre de l’aire et tente de s’abriter sous un rhododendron. Finalement, il reviendra se coucher dans le fond de l’aire où l’ombre a gagné. Aucun adulte observé mais le ravitaillement est visiblement assuré. Vu sa taille, la qualité de son plumage et son autonomie sur la prise de nourriture, il ne lui manque plus que quelques exercices alaires soutenus pour être candidat à l’envol. Il va donc falloir intensifier un peu le suivi pour la deuxième quinzaine de juin afin d’essayer de suivre l’envol et le début de la phase d’émancipation, période critique s’il en est. De bien belles heures nous attendent…

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30/06/2015 : Début de l’obs à 8h45 : aire encore à l’ombre, le jeune est couché au pied du bouleau assez proche du bord de l’aire. Pas d’adulte en vue. Quelques étirements d’aile.

9h25 : le soleil arrive, il se rapproche de la falaise et disparaît derrière les bouleaux à l’ombre.

9h45 : un adulte arrive au nid, sort un os du trou et le pose sur le nid. Le jeune le rejoint. l’adulte  s’envole. Le jeune volette sur la plateforme, revient au nid, tourne autour de l’os sans le toucher et repart, ailes déployées à l’endroit où il était à notre arrivée mais reste debout 1/4 d’heure sur une touffe de rhododendrons tout au bord de l’aire puis finalement se recouche sous le bouleau.

10h10 : un gypa pompe avec 4 vautours au dessus du site.

10h34 : un hélicoptère passe au dessus de l’aire…

Quelques vautours se posent sous un col. En fait il y a une brebis morte et en un 1/4 d’heure plus d’une cinquantaine de vautours arrivent de tous les côtés.

11h17 : après quelques étirements, le jeune se rapproche de la paroi

11h19 : un adulte se pose à côté de lui avec une patte d’isard, il découpe des morceaux et donne la becquée au jeune. Jusqu’à 11h30 ils mangent puis l’adulte s’envole. Le jeune poursuivra son repas jusqu’à 12h28 puis il ira faire une petite sieste derrière les bouleaux.

12h45 : il revient et continue à dépiauter sa patte d’isard jusqu’à 13h36 puis il volette vers le nid et s’attaque à l’os que l’adulte avait sorti du nid le matin. Il volette vers le milieu de l’aire, revient au nid, repart.

14h05 : un adulte se pose sur la patte d’isard et mange pendant 1 heure, seul d’abord sous l’oeil attentif du jeune, puis partage avec lui.

15h10 : l’adulte s’envole, le petit continue à manger puis va se poser sur le nid.

Logé, bien nourri il ne manifeste pas le désir de quitter le foyer parental ! Lors de la précédente obs tous ses déplacements se faisaient en rasant la paroi, la différence aujourd’hui c’est qu’il s’approche du bord de l’aire. A aucun moment de la journée nous n’avons vu les 2 parents ensemble.

A 15h30, rôtis et couverts de piqûres de taons et de moustiques, nous partons.

04/07/2015 : Soleil et rafales de vent

10h50 : début d’obs. RAS à l’aire : aucune trace du jeune (juvénile (juv)).

12h09 : 1 ad tourne devant l’aire et se pose sur la vire. Il est avec un os. Il ne semble pas tranquille. Il s’active un peu sur l’os en levant la tête fréquemment. Il passe son temps à regarder aux alentours et se toilette un peu

12h25 : un faucon tourne devant l’aire ; des corvidés tourneront aussi devant l’aire.

12h45 : L’aire commence à être à l’ombre.

13h02-13h08 : L’ad s’envole, ne prend pas d’altitude et tourne au-dessus du site. Il revient à l’aire et va complètement à droite de la vire dans une anfractuosité.

13h27 : Le 2nd ad arrive sur la vire avec un os. Il s’active sur son os en levant fréquemment la tête.

13h33. Le 1er ad réapparaît de son anfractuosité ; il est avec un os. Les 2 ad s’activent sur les os en levant fréquemment la tête dont un qui regarde, en particulier, vers le bas.

13h42-13h45. Le 2nd ad s’envole et descend la vallée.

Le premier ad s’active sur son os en regardant partout et en direction de l’anfractuosité. Le juv est-il coincé dans le recoin, ne pouvant plus sortir ? Le juv a t-il glissé du nid et se trouve t-il en mauvaise posture en dessous ? Le soleil, tapant fort sur la tête à cette heure, n’aide pas à maîtriser ses idées…

14h30-14h47. Un gros rapace sombre passe sous l’aire et va se poser maladroitement sur un versant ; c’est le juv!!! Il est poursuivit par un faucon crécerelle. Il remonte la pente à pattes et à coup d’ailes. Puis il s’envole et passe sous l’aire puis n’est plus visible.

14h49. L’ad, qui était toujours à l’aire, s’envole et descend la vallée.

15h26-15h29. 1 ad est à l’aire, il prend un os au bec, s’envole et tourne au dessus du site.

Le juvénile s’est envolé ! Il fait des petits vols descendants sur le secteur de l’aire puis il remonte l’altitude perdue à pattes.

Les adultes semblent assez inquiet de la situation et regardent partout quand ils sont sur la vire de l’aire. Le couple assure la surveillance et le ravitaillement.

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03/08/2015 : Suivi de l’émancipation du juvénile. 14h-19h.

Un deuxième année (14h40) avec des vautours fauves entre 1800 et 1950 m.

Le juvénile en vol (14h50), pompe, fait des allers-retours, essaie de “jouer” avec un Circaète jean-le-blanc qui s’éclipse rapidement. Il finit par aller se poser sur une vire herbeuse au-dessus de l’aire (15h04). Il vole bien, semble à l’aise. Il décolle à nouveau vers 16h55, va se promener entre les pics puis revient sur sa vire (17h03).

A 17h25, un adulte arrive avec un beau morceau de carcasse  (morceau de colonne avec bassin complet et une patte arrière entière sans le sabot). Il est pris en chasse par le deuxième année qui finit par lui voler le morceau en plein vol ! L’adute semble abandonner alors que le deuxième année se pose puis essaie de faire du cassage sur la crête.

Retour de l’adulte vers 17h45 qui prend en chasse le jeune pirate. Ils disparaissent derrière la crête.

Vers 18h, le juvénile s’envole, pompe et monte bien au-dessus du cirque vers 1900 m. Le même adulte (mues semblables) arrive avec de la nourriture (non identifiée) dans les serres. Immédiatement, le juvénile le prend en chasse avec force cris (bec grand ouvert) et essaie même de lui prendre le morceau en plein vol, il semble réussir mais l’adulte parvient à garder le contrôle et le juvénile le suit vers la gorge en face de l’aire, où ils disparaissent tous les deux (18h12).

Nous ne reverrons plus personne. Tout semble se passer au mieux, le juvénile poursuit son apprentissage, pour le moment encore dans le périmètre de l’aire mais peut-être plus pour très longtemps…

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– Les gypa sont-ils des feignants assistés… ?

L’interaction de plusieurs facteurs peut expliquer le faible succès reproducteur du gypaète dans ce territoire et dans le Couserans en général

– manque d’expérience d’un jeune couple récemment installé (2 à 3 ans d’apprentissage en moyenne)

– manque de cavités favorables et concurrence d’autres rapaces : l’aigle royal

– précipitations importantes (enneigement…)

– populations d’ongulés sauvages ou domestiques en diminution

– inaccessibilité d’une partie des carcasses

Le Couserans, et le Haut-Salat en particulier, connaissent un climat montagnard rigoureux et humide avec un enneigement capricieux mais souvent important et précoce ces dernières années. L’hiver 2012-2013 fut une année assez exceptionnelle pour l’enneigement (plus de 4 m au port d’Aula, encore 3 m au 1er juin 2013 avec une dernière chute) mais l’hiver 2013-2014 n’était pas mal non plus et assez représentatif. Dans ces conditions d’enneigement et plus généralement de précipitations, on comprend bien l’importance d’un site de reproduction bien abritée.

Par ailleurs, ces conditions compliquent considérablement le suivi des couples. Les cavités naturelles ou les corniches abritées de taille convenable sont rares et leur situation (exposition, altitude…) n’est pas souvent favorable. Le Couserans n’est pas l’Aragon, il faut faire avec.

Cependant, la rareté de ces sites de qualité (c’est-à-dire permettant d’élever un jeune jusqu’à l’envol) les place au premier rang des priorités pour la conservation de l’espèce quand le gypaète finit par en occuper un.

La rareté des sites de reproduction favorables est encore accentuée par la concurrence avec une population d’aigles royaux bien installée. Au-delà des sites occupés, ce sont toutes les falaises dans le périmètre de l’aire occupée par l’aigle qui sont interdites par ce dernier.

La déprise pastorale est importante et prive le gypaète de ressources alimentaires et de territoires de prospection puisque la diminution de la pression de pâturage entraîne aussi la fermeture du milieu qui rend inaccessible une partie des carcasses. Un exemple de la déprise pastorale, sur une commune du Haut-Salat, il y a 15 à 20 ans, au début du réseau casseur d’os, on comptait 4 éleveurs d’ovins pour 2000 à 2500 bêtes. Aujourd’hui, les 4 éleveurs et leurs bêtes ont disparu. Un projet d’installation avec 300 bêtes peine à voir le jour…

La succession d’épidémies (kératoconjonctivite, pestivirose…) alliée à quelques hivers particulièrement rudes ont réduit les populations d’isards. Les ressources alimentaires en hiver se sont raréfiées.

 

Et maintenant ?

Le nourrissage avait été mis en place en 2002 pour attirer et fixer un couple dans le cadre de la recolonisation du massif pyrénéen par l’espèce. Mission accomplie dès 2006-2009. Cependant, l’intérêt du nourrissage persiste ensuite et il est double :

– apport hivernal de nourriture pour soutenir les premières tentatives de reproduction

– contribution au suivi des couples

Néanmoins, il sera progressivement abandonné : un couple expérimenté n’a plus besoin de personne et la nature doit reprendre tous ses droits.

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Depuis 13 ans, de novembre à mai, en plus des prospections et du suivi, 20 kg d’os sont montés chaque semaine sur 2 sites : un point haut à 1700 m (300 à 350 m de dénivelé et 1h à 2h de marche en fonction du point de départ et de la qualité de la neige) et un point bas à 1300 m (450 à 500 m de dénivelé et 1h à 2h30 de marche en fonction du point de départ et de la qualité de la neige), un seul est alimenté à la fois. C’est l’accessibilité et donc le niveau d’enneigement qui détermine l’utilisation d’un site ou de l’autre. Une équipe de bénévoles et de salariés réalise ces portages : merci aux sherpas du gypa !

La condition physique, les risques, les connaissances nécessaires sur la montagne et sur le gypa, le matériel nécessaire pour l’observation, les conditions hivernales, le temps qu’il faut y consacrer sont d’une part autant d’obstacles à un engagement de beaucoup de bénévoles dans la durée et d’autre part finissent parfois par user, donc :

– merci à tous ceux qui ont participé au cours de toutes ces années : Daniel Donjat, Louis Albérici, Adrien Duquesne, Jean-Michel Dramard, Emile Simonato, Julien Vergne, Jordi Estèbe, Mat et Maylis…

– et merci à ceux qui participent encore : Myriam Gonzalez, Paul Pelzer (toujours là, depuis les premiers portages en 2002, merci beaucoup à tous les deux…), Boris Baillat, Vincent Lacaze, Gilbert Guillet, et en particulier Evelyne et Jean-Claude Leclerc ainsi que David Thévenet qui ont fait preuve d’un engagement sans faille dans le suivi de cette saison de reproduction.

Une belle saison achevée et déjà la prochaine qui débute… A vos jumelles et au plaisir de lire vos récits…

 

Julien Garric – Coordination gypa ANA

Réseau Casseur d’os – jgarric@wanadoo.fr

À propos de l’auteur

Carole Herscovici