L’étude des comportements, appelée éthologie, est une science qui nécessite beaucoup d’observations croisées avec une connaissance fine de la biologie, de l’écologie et de la physiologie des espèces étudiées. Et surtout, il faut rester très prudent sur les conclusions que nous tirons de ces observations tant nous sommes prompts à attribuer aux animaux des comportements purement humains. Nous vous proposons ici un petit condensé des connaissances que nous avons sur le Vautour fauve afin de mieux comprendre son régime alimentaire.
Identification : Avec ses 2,55 m d’envergure en moyenne et ses 6 à 11 Kg, le vautour fauve est un des plus grands rapaces de France. Aisément identifiable à ses longues et larges ailes, à sa queue courte, carrée et sombre et à sa collerette blanchâtre bien visible en vol. Son plumage est fauve et marron. Sa tête est couverte de duvet blanc.
Il niche en falaise mais aucune colonie n’est connue à ce jour en Ariège. La taille imposante des Vautours fauves et le fait que des groupes de plusieurs dizaines d’individus peuvent se former impressionnent d’ailleurs souvent les observateurs de ces oiseaux.
Régime alimentaire : Espèce nécrophage, le Vautour fauve se nourrit quasi-exclusivement de bêtes mortes : ongulés sauvages (isards, cervidés…) ou domestiques (moutons, vaches et chèvres) qu’il trouve dans les espaces ouverts (estives, prairies…). C’est un charognard. Sa vue perçante lui permet de repérer les cadavres mais surtout l’attitude d’autres charognards (vautours, corvidés…) indiquant la présence de cadavres. Et ce à plusieurs kilomètres de distance.
Le Vautour fauve (comme les autres nécrophages) participe à l’élimination des carcasses et limite donc la propagation d’épidémies potentielles : son action sanitaire contribue à la bonne santé des populations d’ongulés. Il constitue ce qu’on appelle un cul-de-sac épidémiologique.
Principalement cantonné aux zones de montagne à cause de l’urbanisation croissante et de la modification des pratiques agricoles, le Vautour fauve n’est pas une espèce spécialement montagnarde. Avant, il prospectait sa nourriture partout à l’exception des zones forestières. Il n’est donc pas surprenant de le voir sillonner la chaîne du Plantaurel ou de l’observer en plaine. Bien qu’il prospecte chaque jour et avantage les zones où il a déjà trouvé de la nourriture, le Vautour fauve peut rester facilement 2 semaines sans manger.
Une morphologie adaptée à son régime alimentaire : Pour survivre, un prédateur doit capturer sa proie : un animal vivant, lui-même doté d’«outils de défense» (sens aiguisés et capacités de fuite voire de contre-attaque) et de stratégies de défense (camouflage, vie en groupe…) face aux prédateurs.
Tout prédateur doit donc disposer :
Il en est de même pour les oiseaux prédateurs : l’Aigle royal possède des serres puissantes lui permettant d’attraper et de maintenir une proie aussi grosse que lui. Son bec crochu et fin lui permet de percer et de déchiqueter la peau et la viande de ses proies.
Pour le Vautour fauve c’est différent. Il a bien des serres mais ses griffes sont courtes et arrondies au bout. Ils ne peuvent donc pas percer la peau avec leurs griffes. Leurs doigts n’ont pas assez de force ni une forme permettant de serrer un animal qui se débat. Ils peuvent en revanche très bien marcher, à l’inverse de l’aigle qui est alors bien handicapé avec ses longues griffes courbes et pointues.
Si les becs des rapaces ont à peu près tous la même forme (crochu), on se rend compte qu’ils sont en réalité tous différents et adaptés à des régimes alimentaires très spécifiques. Le bec des Vautours fauves est spécialisé pour entamer des tissus mous (viscères, muscles) et pour dépecer (agissant comme une tenaille) mais il ne permet pas de trancher la peau et de saigner les animaux comme peut le faire l’Aigle royal.
Les Vautours fauves consomment les carcasses en entamant la chair par les orifices (museau, bouche, anus) et aux endroits où la peau est la plus fine (aisselles, aine). Leur long cou couvert de duvet leur permet d’«explorer» le cadavre par l’intérieur.
Toutes les autopsies réalisées sur des animaux que les vautours ont commencé à manger alors qu’ils étaient encore vivant arrivent à la même conclusion : si un vautour s’en prend à un animal encore vivant, c’est que celui-ci ne peut pas fuir ou se débattre, qu’il est quasiment immobile et donc déjà faible ou mourant.
Premières «attaques» ?
Les premiers articles faisant mention d’ «attaques» de vautours sur du bétail ont débuté dans les années 1990. Ces «attaques» ont été prises très au sérieux et ont donné lieux à plusieurs enquêtes et constats, principalement dans les Pyrénées atlantiques. En 2003, un comité de pilotage regroupant les acteurs de l’environnement, les institutions agricoles et les collectivités territoriales a abouti à la mise en place d’un Observatoire des dommages au bétail. Les enquêtes et contre-expertises ont permis de faire la lumière sur des situations problématiques qui pêchaient par manque d’investigation.
Alors que la situation s’était apaisée, une maladresse législative a engendré de nouvelles «attaques» en 2006. Là encore, il est important de bien comprendre comment les choses se sont passées.
D’ordinaire, lors des mises-bas de mammifères, les vautours consomment le placenta une fois que la mère et le petit ont quitté le lieu. Or en 2006 et 2007, en raison de la crise de la vache folle, l’Europe a imposé la fermeture des grandes et nombreuses places d’équarrissage (muladares) en Espagne privant ainsi plus de 6000 vautours de leur source de nourriture habituelle. Ils ont donc prospecté de plus en plus largement pour trouver de la nourriture. Plus de la moitié ont d’ailleurs trouvé la mort au cours des deux années qui ont suivi. En Pays Basque où il y a beaucoup de Blondes d’Aquitaine (race de vache dont le vêlage est souvent difficile), il y a eu quelques vautours, alors affamés, qui se sont enhardis à entamer le cordon ombilical alors que la mère et son petit étaient encore reliés par le cordon, provoquant ainsi une hémorragie tuant la mère et le petit.
Il est compréhensible que de telles scènes puissent être traumatisantes pour un éleveur et suscitent la colère et le désarroi mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit de cas très rares. Les enquêtes et constats effectués depuis le début des années 1990 ont montré que tous les dommages imputés aux vautours concernaient moins de 1 cas sur 1000 mises-bas en estive. Chiffre très faible à l’échelle de l’élevage en montagne, même si c’est bien-entendu une épreuve très difficile pour l’éleveur qui subit la perte. Mais, depuis lors, bien qu’il ne s’agisse que de cas exceptionnels et isolés, la légende des vautours mutants et sanguinaires ressurgit régulièrement à travers l’émotion sincère et justifiée des éleveurs, amplifiée par les médias et l’opinion en quête de gros titres.
Pratiques alimentaires devenues habituelles ?
Lors de périodes difficiles, comme il y en a pour toutes les espèces selon les saisons et les aléas météorologiques, on sait que les vautours peuvent «mettre la pression» sur des individus faibles qui, en zone escarpées, peuvent tomber, se tuer et être ensuite consommées par les vautours. Mais on ne peut pour autant pas dire qu’ils aient la volonté délibérée de les faire tomber dans des zones rocheuses. S’ils sont affamés, leur empressement peut affoler des animaux faibles ou blessés qui, dans des zones accidentées, finissent par commettre des erreurs pouvant aller jusqu’à la chute. Il ne faut pas oublier que pour certains ongulés, les zones accidentées sont des zones refuges, de sécurité. Prêter aux vautours les mêmes stratégies que l’homme utilisait en certains temps, c’est céder à l’anthropomorphisme. Le même comportement en zone non-accidentée n’a d’ailleurs pas les mêmes conséquences spectaculaires. Par ailleurs, on prêtait le même stratagème au Gypaète barbu au début du siècle dernier pour justifier la présence d’os d’ongulés dans son jabot, on sait maintenant ce qu’il en est…
Les dérochements occasionnés par les Vautours fauves sont encore une fois anecdotiques et on ne peut pas leur attribuer un comportement de chasse et donc de prédateur, sinon ce genre de fait serait beaucoup plus fréquent.
De même, le comportement «familier» de certains vautours vient du fait qu’il est possible pour eux de trouver de la nourriture sur certaines exploitations où le bétail mort n’est pas toujours emporté immédiatement par l’équarrisseur. Des vautours peuvent ainsi s’habituer à prospecter régulièrement ces zones car ils savent que c’est une source d’alimentation régulière, particulièrement au printemps (période de mise-bas).
Mais il s’agit toujours de cas isolés, ponctuels, localisés dans la saison et sur des zones précises. Il s’agit, de plus, de comportements liés à quelques rares individus. Les vautours sont des oiseaux grégaires. Que l’un d’entre eux découvre de la nourriture et la consomme sans trop de problèmes et les autres suivront d’autant plus et d’autant plus vite qu’ils n’ont pas mangé depuis longtemps…. C’est leur mode de fonctionnement normal. Ce sont souvent les plus affamés qui osent se poser en premier, qui prennent le plus de risques ou sont les plus agressifs dans la curée. Ce n’est d’ailleurs pas forcément toujours le même individu qui est le plus téméraire, c’est juste le plus affamé.
Vautours mutants ?
Peut-on parler de mutation des vautours charognards en prédateurs ou même de changement de mœurs ? Si l’évolution des mœurs et des pratiques alimentaires peut effectivement évoluer au sein d’une espèce cela prend de nombreuses générations et il faut pour cela que les conditions globales du milieu (habitat, ressources alimentaires…) soient profondément chamboulées, obligeant l’espèce à modifier sa physiologie et son mode d’alimentation. Or, l’agriculture n’a pas connu de modifications radicales dans ses pratiques au cours des dernières années. On peut parler d’adaptations comportementales ponctuelles mais le régime et les pratiques alimentaires des vautours qui existent depuis plusieurs millions d’années ne vont pas changer en quelques années. Les processus d’évolution sont lents (milliers d’années) et tâtonnant, surtout chez les grands animaux. Donc, non, on ne peut pas parler de changement de mœurs et encore moins de mutation !
Et les éleveurs ?
Il est évident que pour les éleveurs qui ont assisté à ces curées inhabituelles, cela constitue un choc. Choc qui est d’autant plus important que les conditions d’élevage sont souvent difficiles et la précarité croissante dans l’élevage extensif. La détresse de ces agriculteurs est réelle et légitime et n’est donc pas à remettre en question. En revanche, la nature des témoignages récoltés doit être analysée avec la plus grande rigueur, notamment la manière dont leurs observations sont interprétées.
C’est pour éviter les mauvaises interprétations et les conclusions hâtives que nous continuons de dire qu’il faut que des expertises ou contre-expertises indépendantes puissent être réalisées de façon rapide et efficace afin de trouver des solutions adaptées permettant de protéger le bétail comme les vautours. Voir le comuniqué de presse à ce sujet.
La mise en place de plates-formes d’équarrissage évitant des contraintes coûteuses pour les éleveurs et concentrant les vautours sur des zones éloignées des exploitations est une solution qui a fait ses preuves. D’autres sont à trouver ensemble en fonction du contexte.
Pour aller plus loin
Nous vous conseillons la lecture de deux articles complets de Jean-Pierre Choisy qui se penche sur la question des vautours depuis de nombreuses années et qui apporte une analyse scientifique très intéressante sur le sujet :
Le Vautour fauve, de Bertrand Eliotout et paru chez Delachaux et Niestlé
Julien Vergne, Coordinateur suivis rapaces
Télécharger cet article au format pdf
Autres articles concernant les vautours
À propos de l’auteur