Notre réponse sur le projet de tirs d’effarouchement sur les vautours en Ariège

ParJulien Vergne

Notre réponse sur le projet de tirs d’effarouchement sur les vautours en Ariège

Lettre du 09/09/2014

 

Suite aux évènements de ce printemps 2014 où les Vautours fauves (Gyps fulvus) ont été intégrés comme “prédateurs”, au même titre que l’ours ou le loup, à la liste noire des opposants à la grande faune sauvage, la préfecture a proposé un arrêté préfectoral portant autorisation de tirs d’effarouchement des Vautours fauves.

Voici la réponse que l’Ana a transmise à la préfecture dans le cadre de la consultation publique.

 

“Madame, Monsieur,
Dans le cadre de cette consultation publique, il nous semble important de vous transmettre notre point de vue d’expert, compte-tenu du fait que nous assurons une veille et des suivis actifs des rapaces sur tout le département depuis plus de 15 ans.
Tout d’abord, nous sommes surpris de ne pas avoir été consultés voire même associés en amont à la réflexion ayant conduit à ce projet d’arrêté, comme cela peut se faire sur d’autres projets d’arrêtés mettant en jeu la faune ou la flore sauvage.

Compte-tenu des données suivantes :
– le Vautour fauve ne niche pas en Ariège
– sa présence est moins importante qu’ailleurs dans les Pyrénées et de toute façon saisonnière.
– aucune preuve scientifique ne vient attester les accusations de la FDSEA et des chasseurs exprimées lors de la manifestation de Foix.
– le constat réalisé par le vétérinaire référent du service vétérinaire de la DDT 09 repose sur une méconnaissance manifeste du Vautour fauve et n’a pas été validé par les experts du Ministère de l’Environnement.
– dans les Pyrénées françaises (ensemble du massif comprenant 6 départements) l’ONCFS a communiqué qu’en 2012 seulement 16% des constats déclarés (soit 16% de 52 = 8 constats) concernaient des interventions de vautours “sur du bétail affaibli ou blessé et en l’absence de berger”.
– ces interventions sur animaux très affaiblis voire mourant représentent moins de 0,05% de la mortalité du bétail (cf. J-P Choisy, 2014, courrier de l’environnement de l’INRA) et ne justifient donc pas un tel arrêté.
– la présence de vautours près de bâtiments agricoles indique l’existence de bétail mort (ou de placentas non enlevés), ou de bétail en difficulté (mise-bas difficile nécessitant la présence de l’éleveur ou d’un vétérinaire par exemple).
– un effort sanitaire et une surveillance des mises-bas rendraient les bâtiments et leurs environs moins attractifs et suffiraient à éloigner les vautours.
– aucune autre mesure n’a été testée ni aucune campagne de sensibilisation incitant les éleveurs à surveiller les mises-bas et à améliorer la conduite sanitaire des troupeaux n’a été prise par la préfecture de l’Ariège.
– le Vautour fauve ne peut scientifiquement pas être considéré comme un prédateur (contrairement à ce qui a été déclaré par vos services vétérinaires) ainsi qu’il est mentionné dans le projet d’arrêté (cf. B. Eliotout, 2011, Delachaux et Niestlé ; J. Vergne, 2014, document de l’Ana).

Nous estimons que :
– un tel arrêté n’est qu’une réponse politique en faveur de ceux qui refusent de cohabiter avec la grande faune sauvage. C’est donner raison à ceux qui répandent l’idée que le Vautour fauve est un prédateur (terme faux pour cette espèce et pourtant employé dans le projet d’arrêté).
– cet arrêté ne tient pas compte des espèces protégées qui pourraient être perturbées par les tirs (autorisés au printemps à la période où la majorité des oiseaux nichent) ce qui est interdit.
– ce projet porte atteinte aux Vautours fauves qui sont des animaux qui cohabitent avec le monde agricole et lui rendent service en faisant office d’équarrisseur naturel depuis plusieurs dizaines de milliers d’années.
– un tel projet ignore la valeur ajoutée que les vautours apportent au tourisme de nature en plein essor sur le département.
– si ces tirs sont réalisés directement par les éleveurs-chasseurs et lieutenants de louvèterie, le risque de dérapage et de tirs à balles réelles est à prendre au sérieux : ce type d’arrêté a été pris dans les Pyrénées-Atlantiques en 2012 et un gypaète a été tiré à balle réelle en 2013.
– le risque de confusion entre le Vautour fauve ou d’autres grands rapaces est important : envergure et taille difficile à estimer, milieu pouvant être similaire à celui du Gypaète barbu (Gypaetus barbatus), mêmes carcasses exploitées.
– les tirs d’effarouchement à l’encontre du Vautour fauve ont montré leur inefficacité dans les Pyrénées-Atlantiques : pas de demande des éleveurs, et effet éphémère des tirs (les vautours font un tour et ne s’en vont pas) s’ils ont repéré une opportunité trophique.

Pour rappel, la prise d’un arrêté similaire dans les Pyrénées-Atlantiques et ses conséquences sur les mentalités déjà agitées par les médias et les pressions diverses depuis plus de 10 ans sont claires : en 2012 en Ariège, la disparition d’un gypaèton de 3 mois coïncide en temps et lieu avec 3 cas d’empoisonnement de Vautours fauves ; en 2012 dans l’Aude, 4 Vautours fauves et un Vautour percnoptère ont été empoisonnés ; en 2013, 32% des rapaces nécrophages morts qui ont été étudiés sur les Pyrénées ont été victimes d’actes de malveillance (tir ou poison) ; fin 2013 un gypaète a été tiré ; juillet 2014 un Vautour percnoptère a été empoisonné. Depuis 2007, 2 gypaètes ont été tirés et 4 Vautours percnoptères sont morts empoisonnés dans les Pyrénées. Compte-tenu de la rareté de ces espèces au niveau européen, il est nécessaire de chercher d’autres solutions que ce type de régulation à proximité des exploitations agricoles.

Par voie de conséquence, nous estimons que ce projet doit être retiré.

Cependant, nous avons bien conscience que la présence de vautours dans l’état actuel du contexte agricole peut être vécue comme une contrainte supplémentaire et que les éleveurs ont besoin d’être accompagnés pour apaiser cette cohabitation.
Il est important qu’en cas de suspicion d’implication de vautours dans la mort d’animaux domestiques une expertise et une autopsie soit réalisées par des personnes formées et expérimentées, qu’elles soient de l’ONCFS et/ou indépendantes.
En matière d’alternative à cette mesure radicale, la mise en place de placettes d’équarrissage éloignées des zones d’élevage sont bien plus efficaces, plus économiques, plus écologiques et surtout plus logiques que des tirs d’effarouchement qui auront des conséquences sur d’autres espèces et sur le voisinage également.
Travaillant avec le monde agricole depuis de nombreuse année, l’Ana peut apporter un appui technique sur la mise en place de telles solutions en partenariat avec les services de l’Etat.
Ces problèmes ont des solutions qui doivent être discutées de façon dépassionnée avec des spécialistes. Un vrai travail de concertation des acteurs et d’information du grand public doit être fait en amont. Un projet mis en place sous la pression et reposant sur des arguments faux n’est pas viable et envenime la situation plutôt que de la résoudre.
Un arrêté doit venir après la réflexion, pas avant et doit de toute façon s’accompagner de pédagogie.

Dans l’espoir que ce projet d’arrêté sera retiré et qu’un vrai travail de médiation voit le jour, nous vous prions de recevoir, Madame, Monsieur, nos respectueuses salutations.

L’Association des Naturalistes de l’Ariège”

 

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Consulter l’avis de contre-expertise du Muséum national d’Histoire naturelle (27/08/2015) lié à l’expertise réalisée par le Dr Alzieu, vétérinaire référent du service vétérinaire de la DDT 09, à l’origine de cette fausse polémique et ayant entrainé la mise en application de cet APPB.

À propos de l’auteur

Julien Vergne subscriber

Médiateur scientifique Référent Formations Coordinateur Sports de nature et Environnement